Par Olivier Gebuhrer, le 23 August 2011
Les volutes des dernières mesures de l'ouverture de l'Opéra Boris Godounov s'échappaient lentement . Les sons graves et puissants , immenses comme la Russie s'éteignaient avec en fond le tocsin de l'Eglise St Basile le Bienheureux; personne avant Moussorgsky n'avait su traduire en musique la tragédie du peuple russe à venir Tragédie qui se répétait indéfiniment :les boyards se disputent et le peuple pleure.Il se laissa emporter doucement par le silence qui suivit
Venue d'on ne sait où , une voix terrible s'écria : "Accusé levez vous!" ; il regarda autour de lui , se frotta les yeux , c'était de lui qu'il s'agissait ! Comment était-il arrivé dans ce Tribunal où un homme menaçant en toge rouge pointait un doigt vengeur vers lui:"Vous êtes accusé de crimes contre l'humanité , qu'avez vous à dire pour votre défense ?" Cela lui parvint comme un coup de fusil en pleine poitrine tiré à bout portant .
Il essaya de se souvenir: jusque là il s'était consacré aux mathématiques , avait prouvé des centaines de nouveaux théorèmes et s'était occupé dans les dernières années de ce que l'on avait appelé faute de mieux "mathématiques financières " ; les marchés financiers fournissaient d'inépuisables questions relatives aux fluctuations aléatoires. Résoudre sur le plan théorique ces questions, c'était là une partie de son travail . Il avait enseigné à des centaines d'étudiants des technologies sophistiquées que les banques utilisaient ensuite ; la plupart de celles et ceux qui avaient suivi ses cours , travaillé dans son équipe , n'avaient trouvé aucune diificulté à être embauchés à des salaires défiant toute concurrence ; il se moquait comme d'une guigne des actions , de la Bourse , des produits dérivés ; il n'avait rien à faire de ça et maintenant qu'elle était devenue folle , la finance, il était accusé de crimes contre l'humanité ! Tout cela passa dans sa tête à la vitesse de l'éclair ; il se tassa sur sa chaise ; il aurait voulu disparaître sur le champ ; il jeta un regard rapide sur l'auditoire mais ne rencontra que des regards hostiles Ses tempes battaient , il ne pouvait articuler un seul mot..
Le procureur lança : " regardez cet homme! Il a conduit de millions de pauvres gens à la misère , affamé des continents entiers, déclenché des processus que plus personne ne sait contrôler et ne trouve pas un mot pour sa défense ! Je demande la peine capitale -ca-pi-ta-le!"
Réunissant ce qu'il lui restait de forces il hurla: " je suis innocent" ; à cet instant il ressentit une violente douleur au côté comme un coup de coude , pendant qu'une voix connue lui disait "Arrête de hurler comme ça , tu m'empêches de dormir!" et il s'éveilla .
Il y a actuellement 0 réactions
Vous devez vous identifier ou créer un compte pour écrire des commentaires.