Commission nationale Enseignement Supérieur et Recherche du PCF

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Introduction à la réunion de la commission enseignement supérieur et recherche du PCF , 19.11.2011 (2e partie)

38 ans après le soulèvement des étudiants de l’École Polytechnique d’Athènes le 17.11.1973 qui a sonné le glas de la dictature des colonels, à la commémoration qui a eu lieu jeudi, à Athènes aucun représentant « officiel » n’a osé participer (ni même le Président de la République), tandis qu’à Thessalonique l’asile universitaire a été violé par les forces de l’ordre sous prétexte d’incidents durant la manifestation, malgré les vives protestations du Prytane. La vice-Prytane de l’École Polytechnique d’Athènes a dénoncé, de son côté, dans le traditionnel discours précédent la manifestation, la nouvelle loi « universicide », qui  détruit le service public académique, abolit l’asile, démantèle les institutions démocratiques fondamentales de l’université et ignore complètement ses véritables besoins. Cela nous rappelle sûrement des choses bien connues...  Pourquoi commencer avec une commémoration et son prolongement au présent grâce aux événements de jeudi dernier? Car nous avons la sensation de revivre une époque brûlante, où les événements se bousculent, où dans tous les domaines de la vie et de la politique nous nous voyons presque obligés d’en finir avec « les scories » d’un passé non seulement récent, celui de la droite et de la politique de droite (commencé bien avant l’avènement sarkozien), mais aussi plus ancien, d’un « vieux temps » rêvé qui n’a évidemment jamais existé. Mais puisque la modernité n’est pas forcément synonyme d’amélioration, on n’a qu’à voir l’exemple des « nouveaux » qui prennent les rênes de pays comme la Grèce et l’Italie, il ne serait pas complètement inutile de rappelle à tous ceux qui nous interpellent en nous reprochant un retour à l’université des années 70 ou avant, que la course effrénée aux changements pour être « innovants » ou « compétitifs » n’a pas seulement écrasé la science, mais elle a aussi détruit les salariés dans tous les domaines où elle a sévi. Ce sera la ligne conductrice des quelques questions soulevées dans cette deuxième partie de l’intro: territorialité, Europe, précarité et emploi, recherche industrielle. Nous sommes souvent devant une sorte de paradoxe, que la droite a résolu grâce aux Idex, la social-démocratie grâce à sa proposition d’accentuer la régionalisation (c’est vrai que les régions sont présidées aujourd’hui par le PS et qu’il y a convergence d’intérêts entre potentats régionaux et futurs potentats des grands Idex), et les Verts grâce à la merveilleuse formule entendue à Toulouse le 15.10: « enracinement de l’université et de la recherche dans l’écosystème régional ». Le paradoxe qu’ils tentent de résoudre est l’articulation entre Université et recherche services publics nationaux, et régions, sans pour autant oser aller jusqu’à abandonner totalement leur caractère national. Pour nous, comme nous l’avons affirmé à plusieurs reprises, il n’est pas question de « régionalisation », mais il n’est pas non plus question d’ignorer le rôle réel des établissements universitaires et de recherche pour l’aménagement du territoire. Or nous constatons que peu de choses ont été faites pour travailler en liaison avec nos élus régionaux et que certains de ces élus ignorent même la nature des problèmes liés à nos domaines lorsqu’ils viennent à la discussion dans les assemblées régionales. Pour nous, régions et cohésion nationale vont de pair et nous ne transigeons pas sur ce point. Mais cette réponse resterait insuffisante si elle se limitait au seul cadre français. Nous connaissons le positionnement du PS et celui des Verts, qui convergent vers une Europe « des régions », affaiblissant tout lien de service public et allant vers l’autonomisation des tous les acteurs régionaux. Mais les exemples des pays à forte culture « régionale » comme l’Espagne ou l’Allemagne montrent que cette idée a contribué à accentuer tous les aspects « rentables » et marchands des universités et de la recherche, a détruit l’emploi scientifique stable ou a abouti à ce que des équipes soient maintenues sous perfusion de subventions régionales (Espagne), au risque d’être menacées de fermeture aujourd’hui avec la crise. L’exemple de la Grèce, pays à structures centralisées comme la France (en pire, c’est là où la notion de « service public » se confond avec celle de « service étatique ») a aussi montré combien une décentralisation sans moyens et sans logique d’ensemble est dommageable pour la science elle-même, combien elle contribue au clientélisme et à l’avènement des notables universitaires et locaux, combien elle encourage un morcellement des disciplines et un isolement des gens, et combien, en fait, elle n’est profitable qu’à ceux qui la soutiennent, c’est-à-dire aux acteurs du patronat qui s’en réjouissent d’avoir à leur portée des jeunes répondant à leurs demandes. Le cas grec, avec ses deux décentralisations universitaires à des décennies d’intervalle, est caricatural et éclairant en même temps: une première vague, destinée, dans les années 60, à irriguer le territoire, à développer la science hors Athènes et Thessalonique, opérée avec une planification à peu près sérieuse et une réelle volonté de créer des structures de savoir. Résultat, les universités ainsi créées ont vite trouvé leur place et personne aujourd’hui ne les considère comme « provinciales ». Une seconde, dans les années 80-90, obéissant à la logique d’installer des facultés là où les régions le demandaient pour d’autres raisons que scientifiques, surtout là où l’on pensait que le commerce local pourrait en profiter. Le résultat est la création de « supermarchés » universitaires, éclatés et sans cohésion, sans moyens humains et financiers, sans même prévoir l’arrivée des étudiants et des enseignants. La logique « régionaliste » a pris le pas sur la logique scientifique, qui a été complètement occultée. À l’heure des Idex et de la LRU, les implications territoriales reviennent sur le devant de la scène. Concernant ces deux entreprises de destruction du service public universitaire et de recherche,  si nous affirmons que pour la gauche, ni la LRU ni les IDEX ne sont acceptables, les deux doivent être supprimés, il faut tenir compte du statut différent de chacun pour proposer ce qui le remplacera. La réflexion sur la LRU a pour but d’élaborer une nouvelle loi, comme nous l’avons déjà dit. Celle sur les IDEX rejoint la question n°1 (territorialité), ainsi que les questions du financement et des instances. Mais, à part l’établissement d’une priorité chronologique (le « séquençage » que nous aborderons lors de la discussion), existe-t-il une hiérarchie entre les deux?  La LRU est-elle « moins importante » que les IDEX, ou, au contraire, la suppression de la LRU est-elle notre unique objectif, donc celle des IDEX en découle? Ou bien que seule nous intéresse la LRU puisqu’il s’agit d’une loi et que demain nous allons élire des députés qui voteront les lois à l’Assemblée nationale? Encore une fois, des exemples d’autres pays peuvent nous éclairer. En Allemagne, une sorte de « processus d’excellence » est engagé, qui détruit de fait des équipes et des disciplines car il interdit désormais le financement de toute recherche « pérenne » et généralise les appels d’offres. Pour subsister, les équipes ont recours à la technique anglo-saxonne des « matching funds », donc de la bonne ou mauvaise volonté des éventuels donateurs, ce qui ouvre la voie à leur privatisation. En Suisse (hors UE, mais en Europe quand même), la prestigieuse Fondation Hardt pour l’Antiquité classique, lâchée par les autorités fédérales, a été sauvée et prospère aujourd’hui (complètement privatisée) grâce aux merveilleux services d’un « fundraiser très dynamique ». En Grèce, la nouvelle loi qui soulève un tollé dans toutes les universités est un mélange de LRU et d’IDEX, s’appuyant sur la non moins destructrice réforme territoriale qui a entraîné la disparition d’un grand nombre de collectivités locales et a de fait remodelé un territoire déjà mal en point. Par ailleurs, cette loi (que le nouveau gouvernement vert PASOK-bleu Nouvelle Démocratie-brun LAOS, extrême-droite ne manquera pas d’appliquer pour plaire aux marchés qui l’ont intronisé) établit une gouvernance par un conseil restreint de nommés (extérieurs et intérieurs à nombre égal) qui aurait désormais le droit de tout régler dans les établissements, en reléguant ainsi le Sénat universitaire à un rôle décoratif. Sans compter la suppression des « départements scientifiques » et leur remplacement par des cursus individualisés choisis par les étudiants. Tout cela au nom de la « remise en ordre de marche », de l’adaptation aux normes internationales modernes  et, surtout, de la « liberté » des études et des étudiants. Nous constatons donc que les stratégies que le capitalisme met en œuvre en Europe pour asservir la connaissance savent s’adapter aux structures de chaque pays, mais ont toujours un seul et même objectif. C’est peut-être pour cette raison qu’elles nous prennent souvent de cours, parce que nous comparons rarement avec ce qui se passe hors de France, malgré le fait qu’il nous est facile de le faire, grâce aux nombreux contacts professionnels dont nous disposons. En parlant de l’Europe, on pourrait se pencher sur  l’ERC (European Research Council), cette agence de financement qui, comme nous l’avions écrit dans XYZ, « se rêve en ministère » et dont les financements, obtenus parfois après de longues années d’efforts et de temps consacré à élaborer des projets, se substituent aux crédits pérennes, augmentent la précarité, ne renforcent pas le travail quotidien car souvent le temps qu’on investit pour le programme ERC est au détriment de celui consacré au travail quotidien,  et deviennent souvent des critères d’évaluation de la survie même des équipes (nous en avons des exemples en SHS). Si nous prônons une construction européenne contraire au néolibéralisme, il serait peut-être utile d’inclure dans nos revendications l’instauration d’instances démocratiques de politique de recherche au niveau européen, avec des représentants élus de chaque pays, sorte de véritable « parlement » européen de la recherche, dont la mission serait la prospective intra-europénne, mais également les coopérations extra-européennes, notamment avec les pays du sud. Cela ne remplacera évidemment pas les instances démocratiques de politique scientifique de chaque pays (même s’il est difficile d’en trouver beaucoup en dehors du CNRS, puisque les institutions  comme le FNRS ou la DFG sont des agences de financement) et sans l’intention « d’exporter » le CNRS ailleurs! Indépendante des lobbies, des think-tanks et de la Table ronde des entrepreneurs européens. Est-ce utopique de revendiquer pour l’Europe ce que nous revendiquons pour la France? Ne pourrait-on pas exiger d’un futur gouvernement de gauche qui représentera la France à l’UE de porter la volonté des citoyens? L’UE actuelle au service des marchés capitalistes est aussi un grand marché de la précarité d’emploi, voire même du passage de la simple précarité à la précarisation, comme le souligne très bien l’enquête PECRES. Idée considérée comme « moderne », synonyme de jeunesse, de dynamisme et de mobilité. L’enquête a rendues publiques quelques vérités incontestables qui balaient les stéréotypes auxquels même nous n’échappons pas complètement (l’idée par exemple que les jeunes préfèrent la « liberté »): âge, sexe, qualification, métiers, évolution des carrières etc. La précarité est presque la règle avant 30 ans, elle ne se limite même pas aux années de doctorat ou de post-doc mais s’étale sur des durées variables de la carrière, elle frappe tous les métiers et les disciplines, mais a ses préférées (le maillon faible, les SHS), fait des distinction de genre puisqu’elle préfère les femmes (comme dans tous les domaines professionnels; comme par hasard, les techniciens titulaires, par exemple, sont majoritairement des hommes, tandis que les non-titulaires pour le même travail sont majoritairement des femmes) et, comme plusieurs d’entre vous l’ont signalé, est hautement nuisible pour la science. Qui pourrait sérieusement affirmer qu’un post-doc d’un an suffit pour construire une base de données sur les rapports entre les différents courants philosophiques anciens et le gnosticisme, mouvement religieux mystique célèbre du monde méditerranéen du 2e s.? Qui poursuivra ce travail inédit, une fois que le post-doc sera terminé et que la personne sera obligée de chercher du travail ailleurs? Le recensement de PECRES a donné quelques 50 000 précaires. Nous les côtoyons tous les jours dans nos facs et nos labos, nous les réembauchons même d’année en année, de vacation en vacation, de CDD en CDD, de post-doc en post-doc. Ce ne sont pas seulement des docteurs, des chercheurs ou des enseignants. Tous les métiers sont concernés, toutes les qualifications. Plusieurs d’entre vous ont avancé des propositions sur le financement des thèses (pas de thèse sans financement, pas de post-doc antichambre des CDD ou voie de garage alimentaire, surtout pas dans les disciplines comme les SHS où les financements sont rares et accordés au compte-gouttes et à la tête du client, pas de « particularités disciplinaires » quant à la revendication de l’embauche des docteurs etc.). Mais la proposition la plus radicale qui caractériserait une vraie politique de gauche, une politique de rupture avec la spirale de la soi-disant économie de la connaissance (ou connaissance à l’économie) ne serait-elle pas celle qui vise l’intégration des précaires dans la fonction publique, là où ils travaillent déjà sans statut et parfois sans salaire? Dans un objectif de changement des politiques européennes, un telle mesure immédiate ne serait-elle pas un grand coup dans la fourmilière néolibérale qui veut des scientifiques - et des salariés - esclaves? Cela bien sûr, comme ça a déjà été dit par Jean-Pierre Kahane et d’autres, sans oublier notre objectif de création de nouveaux postes de titulaires dont le besoin chiffré est à évaluer par nos organisations syndicales. Le besoin de nouveaux postes ne concerne pas seulement les enseigants-chercheurs. Tous les métiers et toutes les qualifications sont concernés, surtout à l’heure de la RGPP dont il faut exiger l’arrêt net et immédiat. Vous avez tous lu le rapport de l’IGAENR, paradigme de langue de bois managériale mais très instructif sur la façon dont on tente aujourd’hui de nous diviser dans les organismes en s’attaquant d’abord aux « fonctions support » qui ne font pas partie du « cœur » de métier. Créer de nouveaux postes sans tricher, sans procéder à la social-démocrate au déshabillage des uns pour fournir les autres, sans feindre de confondre les précaires, qui sont déjà là, et les nouveaux besoins (cf. interpellation très juste à laquelle le PS n’a pas su ou pas voulu répondre à Toulouse). Sans tomber dans le piège, même lexical, de distinction entre le « cœur » de métier et sa « périphérie ». Nous allons peut-être, et c’est là où on revient à la notion d’implémentabilité, nous heurter à la résignation des collègues, qui ont déjà intégré l’idée de la « rationalisation » des moyens, de la « mutualisation » des postes. Ca ne révolte presque personne par exemple que la politique du CNRS n’est plus de recruter des ingénieurs dans les UPR, mais de les mutualiser avec les universités; même quand on est dans les UMR, le CNRS devient un pourvoyeur de « ressources humaines » et ne créera pas d’emplois pour couvrir ses besoins. Selon l’enquête PECRES, les précaires pensent que, sans prise de conscience de la part des titulaires de la nécessité pour la recherche de se mener au long terme, et de garantir ainsi la dignité des personnels, on ne fera que du saupoudrage et on perpétuera, peut-être malgré nous, un système qui arrange souvent, puisque les « bons élèves » qui réussissent leurs ANR ou ERC ou autres projets à court terme se voient récompensés par des moyens qu’on met à leur disposition grâce aux économies qu’ils ont contribué à faire. Parlons de la recherche industrielle où nous avons déjà des propositions qui ne seront pas répétées ici. Notre commission pourrait réfléchir sur deux questions, en vue d’élargissement de notre vision de ce secteur. Tout d’abord, et cela tient à la composition de notre commission, nous n’avons pas la vision de nos collègues ingénieurs et chercheurs dans l’industrie. Certains d’entre vous connaissent ce secteur via des collaborations de leurs labos ou de la direction de thèses, mais, à part l’intervention d’Olivier dans la commission industrie du parti, nous n’avons pas beaucoup avancé. Comment pourrions-nous réussir à faire venir parmi nous ces collègues? Comment proposons-nous que le parti s’y prenne pour faire travailler ensemble les communistes dans la recherche et l’industrie? Enfin, en parlant d’industrie, envisageons-nous (ou bien la commission industrie l’a-t-elle envisagé) un travail en commun aussi avec les autres salariés de l’industrie qui ne sont pas chercheurs mais qui auront peut-être des choses à nous apprendre sur la politique industrielle? La deuxième question, abordée de façon synthétique dans XYZ spécial Huma (cf. chapitre "Recherche industrielle"): la recherche ne se découpe pas en tranches, c’est pourquoi parler de la recherche industrielle nous conduira à reparler de la question des territoires, du financement (pôle public), des droits des salariés et des citoyens, de l'arrêt de la sous-traitance actuelle etc. Sans oublier le lien entre la recherche industrielle et les autres disciplines scientifiques, dans une perspective d'interdisciplinarité. C’est là aussi que nous avons une originalité à mettre en valeur: si les Verts nous assènent « l’eco-système régional » où on doit tout intégrer, nous avons au contraire avancé la proposition de synergies territoriales entre industrie et diverses disciplines SHS (histoire, sociologie, anthropologie, archéologie, histoire régionale, même littérature, paléographie pour la lecture des archives, histoire économique etc. la liste serait longue) qui aideraient à comprendre la place de telle ou telle industrie et de la recherche qui va avec dans un territoire donné, les liens tissés entre elles parfois depuis des siècles, les raisons de leur développement et celles de l’éventuel déclin, la cohésion au niveau national de tout cela, et donc la possibilité d’ouvrir de nouvelles perspectives même pour les SHS, qu’on « défend » souvent gentiment, mais qu’on considère souvent, même chez nous, comme des disciplines « à part » ou « culturelles », sans prise avec la réalité (sauf éventuellement pour l’économie ou la sociologie, et encore quand elles se conforment aux modes), ou qu’on dévisage avec méfiance à cause de leur rôle séculaire d’outil de sélection et de perpétuation des vieilles élites bien françaises et bien conservatrices. En conclusion, une citation qui vient du vieux temps et qu’on avait accrochée au mur du local de notre association des étudiants de philologie classique de l’université d’Athènes, pour la voir et s’en inspirer au quotidien. Elle vient de Dimitris Glinos (1882-1943), grand intellectuel grec, communiste et résistant, spécialiste de la pédagogie dont il fut l’un des plus importants novateurs. Avec ces mots simples, il s’adressait peut-être à ses élèves, sûrement aux élèves (et futurs enseignants) que nous étions: « vous devez penser la révolution: soit vous serez avec elle, soit vous serez contre elle; tertium non datur ». Nous n’aurons pas non plus de « troisième voie » quel que soit la résultat des élections. À plus forte raison si c’est la gauche qui gagne.    

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