Commission nationale Enseignement Supérieur et Recherche du PCF

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Mensonges et Naufrage : Lecture critique de fausses controverses

Axel Kahn et Valérie Pécresse, Controverses : université, sciences et progrès. Paris, Nil, 2011 Qu’allait-il faire, mais qu’allait-il donc faire dans cette galère ? Voilà la question qu’on doit se poser à propos de l’un des participants à ces faux entretiens, quand on lit ce supposé « grand livre politique et éthique ». Pourquoi faux ? En tout premier lieu, parce que, comme on dit, la partie n’est pas égale, Axel Kahn le remarque dans le corps du livre : « Vous parlez plus que moi, Madame la Ministre » (p. 197) mais cela saute aux yeux. Partant, le livre sert de faire-valoir à la politique actuelle, bien que sûrement Axel Kahn s’en défendrait. Piégé. Ensuite parce que le positionnement d’Axel Kahn le place en opposant courtois et respectueux de « sa Majesté ». Il ne s’agit nullement ici d’une question relevant de ce qu’on appelle l’« éthique républicaine ». Axel Kahn est Président d’une Université parisienne et « sa Majesté », à l’heure de la publication du livre, était Ministre de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche. De ce fait, le propos politique ne peut éviter un déséquilibre majeur. Parcourons le livre. D’entrée de jeu - et nous en donnerons des exemples - « sa Majesté », soulignons-le, ment. Elle ment avec constance, effronterie, en exploitant sans vergogne la position de pouvoir en exercice, condescendant à subir une critique dont elle sait qu’elle n’a sur l’essentiel rien à craindre ; on verra pourquoi. Axel Kahn essaie de temps à autre de marquer sa différence. Quand cela touche à des questions plus ou moins névralgiques, il est rappelé à l’ordre, c’est désolant. Mais jamais il ne relèvera que le discours de « sa Majesté » est rempli de contre-vérités, soit factuelles, soit par omission, soit par déformation. Cette situation laisse un sentiment pénible. Nous  critiquerons parfois durement Axel Kahn, mais nous devons commencer par lui rendre hommage. Il ne s’agit ici ni de son honnêteté absolue, ni de son positionnement comme personnalité attachante et indiscutablement de gauche. Il y a une gauche et une droite dans ce pays ; la lecture du livre, si on l’ignorait, en offre une illustration magistrale. Axel Kahn se trouve autrement que dans les mots dans le premier des deux grands camps de la politique nationale. Il a, pour son parcours idéologique, parfois des expressions étranges : le putsch des généraux d’Alger appelle de sa part le souvenir suivant : « on se demandait, dans ma cellule, comment faire pour se procurer des armes et s’opposer ainsi aux factieux. C’était follement amusant ». (p. 30). Doit-on, pour ceux et celles qui en gardent le souvenir, dire qu’il s’agissait d’un moment tragique, un moment où le destin d’un pays oscille ? Mais ce qu’il dit des communistes mérite un arrête sur image : « Ces militants comptent parmi les gens les plus remarquables que j’ai côtoyés » (ibid.) Mais surtout, avant tout, et quelles que soient les sévérités que nous lui adresserons, il y a ce mot qui se trouve dans le dialogue suivant : Sa Majesté : « mais qu’est-ce qui fait vibrer un militant communiste ? C’est le mot justice ? AK : C’est le mot justice. (p. 31). Nous laisserons pour des raisons évidentes de côté l’itinéraire de « sa Majesté ». Il est plat, sans intérêt et illustre ce qu’est aujourd’hui une femme politique de droite qui « vibre » au mot « France » mais ignore son peuple. Comme Louis XVI. Il y a de ces filiations… Juste un mot à ce sujet : « sa Majesté » déclare à chaque page qu’elle fait partie des « gaullistes sociaux » .Ce que cela signifie exactement, on va le voir. Nous allons parcourir des aspects de ces fausses controverses qui concernent l’enseignement supérieur et la recherche au premier degré, mais la fin du 1er chapitre offre au moins une clé de la continuité idéologique entre les protagonistes, bien avant de plonger dans le concret politique : « Je suis de droite parce que je crois que la responsabilité individuelle est la base de la responsabilité collective et qu’elle doit être préservée […]. Je suis prête à me battre pour que chacun ait les moyens de réussir et de s’épanouir, je veux que chacun ait sa chance et qu’il puisse la saisir », nous dit « sa Majesté » (p. 38). À quoi Axel Kahn répond : « Pour moi, le but explicite de l’action humaine qui n’exclut pas l’exigence de qualité et accepte la compétition, est de permettre à chacun de développer toutes ses potentialités et de donner le meilleur de lui-même. Je reconnais que le mettre en concurrence avec les autres est un moyen efficace d’y parvenir (c’est nous qui soulignons) ; cependant, la finalité ultime doit être d’améliorer les conditions de vie de l’humanité dans son ensemble et de chaque être en son sein ». (ibid.) Le décor est ainsi planté et le naufrage inévitable. Frais d’inscription Avançons dans la lecture : ce qui suit n’est pas le seul passage stupéfiant mais enfin… « Je ne me reconnais absolument pas dans l’idée d’une droite ultralibérale qui aurait le libéralisme comme seul credo idéologique » (p. 46) ; et plus loin, même page : « une droite gaullienne, une droite où l’État a un rôle de régulation à exercer. Un État qui respecte profondément la liberté et la conviction de chacun mais qui organise cette liberté […]. Je me suis lancée dans une réforme qui consacre la liberté et la responsabilité de l’université […]. Si le gouvernement était aussi ultralibéral que vous et d’autres le croyez, il aurait considéré que les universités devaient fonctionner selon les seules lois du marché et trouver par elles-mêmes les ressources nécessaires […]. Au lieu d’augmenter les frais d’inscription payés par les étudiants pour financer la réforme, comme l’ont fait et le font bon nombre d’États étrangers, nous avons augmenté massivement le budget universitaire […] 22 milliards d’euros consacrés à la recherche et l’enseignement supérieur, […] 5 Milliards d’euros dans les campus […]. On est loin de la tradition ultralibérale de la « main invisible du marché ». […] C’est-à-dire de ne pas faire payer les familles à la place de l’État, parce qu’on considérait que c’était une faute » (c’est toujours nous qui soulignons). Nous l’avons dit d’entrée : « sa Majesté » ment. Passons sur les envols de milliards jetés en permanence à la tête de l’opinion publique alors que les universités passent les unes après les autres sous tutelle préfectorale pour ne pas accepter de voter des budgets misérables. Oui, passons. Mais les droits d’inscription, non, trop c’est trop. Comment ne pas relever que ce fut un article dans le projet de Loi initial qui donna la LRU ? « Sa Majesté » ne conçut la « faute » que lorsque commença une levée de boucliers et que pour passer sur l’essentiel, elle « négocia » avec des organisations étudiantes complaisantes, sous le choc de la déroute politique de la gauche. Sur cet ensemble himalayen de tromperie, pas un mot d’Axel Kahn. Oui, l’essentiel, l’essentiel. Social À la p. 53, « Sa Majesté » nous fait un long discours dont le point de départ est « la frustration des Maîtres de conférences […] un phénomène préoccupant ». Voyez comme le social lui est profondément attaché : frustration préoccupante. « Déclassement de l’intellectuel », dont l’origine est « Mai 68 sans doute et aussi parce que gauche et droite avec des arguments différents n’investissaient pas dans l’université depuis des décennies, la droite ayant l’argument que l’université était irréformable ». Passons sur « la gauche «, c’est de bonne guerre, pas totalement sans fondement, mais l’argument de la droite dont elle se réclame malgré ses infinies tentatives d’autojustification, lui, est coté « triple A » par les agences de notation. Pas de réformes à notre sauce, pas de Suisse, pas un sou. « Sa Majesté » s’étant ainsi penchée sur « ce phénomène préoccupant », elle se lance alors dans les primes à tout va. Les maîtres de Conférences sont pour elle des mouches, qui surtout ne doivent pas voir augmenter les traitements et retraites : la notion de carrière doit disparaître, tout comme le statut de la Fonction Publique. « Gaullisme social » quand tu nous tiens… Axel Kahn est là, à nouveau muet. Ce n’est pas qu’il approuve cependant ; il aura ailleurs dans une autre partie du livre des mots forts pour dire que les primes, c’est non, que la carrière a pour lui un sens. « Si vous focalisez exagérément sur la récompense matérielle des individualités, plutôt que sur l’aménagement de conditions de travail qui. Alors, madame la Ministre, je pense que vous faites une erreur » (p. 98). « Sa Majesté » indique alors à Axel Kahn qu’il y a des limites à ne pas dépasser : « Mais président, comment osez-vous me dire cela alors que j’investis 5 milliards d’euros pour rénover les campus ? » (ibid.). Cela continue p. 99 : Axel Kahn : « Réévaluons les carrières, évaluons les personnes, hâtons la revalorisation et la vitesse de promotion des éléments les plus brillants, déplafonnons les fins de carrière ; il existe des moyens. L’idée de rendre la carrière de chercheur attractive par le jeu des primes et sans modifier le système de promotions et de salaires me paraît baroque […]. Cet outil n’a pas l’efficacité que vous croyez » « Sa Majesté », qui ailleurs est choquée qu’on ne reconnaisse pas la parole de « celui qui sait », répond : « Écoutez-moi, je ne suis pas d’accord avec cela… » (p. 100).  LMD et l’étérnité Poursuivons. « Sa Majesté » tient le discours suivant, on avoue en être resté hébété : « Quand Claude Allègre affirme “J’ai fait l’harmonisation européenne des diplômes”, c’est-à-dire le LMD, eh bien, disons qu’il a lancé le processus ! Mais en fait le LMD reste largement à construire aujourd’hui […] ». Là encore silence d’Axel Kahn ; gageons qu’il n’est pas hébété par autant de cynisme et d’effronterie.  Évaluation ? Avant de conclure, on ne peut éviter  deux points d’orgue. Le premier de ceux-ci est le CIR. Axel Kahn est attaché à l’idée de l’évaluation et il lui arrive ( !) de trouver « Sa Majesté » d’une tendresse excessive à ce sujet. Il est pour l’évaluation-sanction. Bien. Au moins y a-t-il une cohérence dans son propos au sujet de cette monstruosité fiscale, véritable fer de lance de la financiarisation de la recherche.  Axel Kahn est à des années-lumière de cette idée ; toutefois : « Sa Majesté » : « vous savez que nous avons doté la France d’un outil extrêmement puissant, le CIR ». Axel Kahn : « Je critique, vous le savez, certains aspects du CIR ». Là, il est coupé sèchement : « Sa Majesté « : « Oui, il est très critiqué parce qu’il est puissant… ». Suit une très longue leçon de choses de celle qui sait pour celui qui, à l’évidence « ne sait pas » (p. 187-191) et qui chute ainsi : « Nous allons consacrer des financements inédits aux projets les plus audacieux ». Axel Kahn : « Selon une évaluation objective par les pairs du type de celle au cœur des missions de l’AERES ? » (ici on peut penser, mais ce n’est pas sûr, qu’il y a une pointe d’ironie)… Il est coupé par un nouveau développement savant. Il revient à la charge : « Nous venons de rappeler, vous et moi, l’importance de l’évaluation […]  c’est le seul processus, le seul dispositif, fort onéreux de surcroît, qui ne bénéficie pas d’une évaluation digne de ce nom et de ce fait… » (il est à nouveau coupé). Plus loin, on apprend qu’il y a eu 4 « évaluations », puis deux missions d’experts, et qu’il est « aberrant d’évaluer ses résultats alors qu’on vient juste d’obtenir les chiffres de la deuxième année ». Axel Kahn : « Je vous demande de mettre en place un système d’évaluation de la qualité et de la quantité d’innovations crées par le CIR […]. Je vous conjure de mettre en place une évaluation authentique de l’efficacité du CIR ». « Sa Majesté » : il a été évalué autant que peut l’être un dispositif qui n’a que deux ans ». Axel Kahn : « On va évaluer ? ». Rideau. Le Triangle d’or Le second point, sur lequel nous seront plus courts : nous avions eu l’épisode de la montre Cartier, puis l’intarrisable sujet de la « règle d’or » ; voilà dans la bouche de « Sa Majesté » le « triangle d’or ». Pas de doute en ces temps troublés, la droite l’aime, l’or. Elle assène sans rire : « J’ai demandé à P. Aghion, l’un de nos meilleurs économistes, qui enseigne à Harvard, d’étudier les facteurs qui font rayonner les grandes universités. Ils sont au nombre de trois. Le premier c’est l’autonomie, le second ce sont les moyens car sans argent la stratégie ne peut aboutir, et le troisième pilier c’est la concurrence » (p. 116). Ce que c’est que d’être l’un de nos meilleurs économistes tout de même ! Axel Kahn ne relève pas cette fumisterie (et pour cause, dès le début du livre il est déjà dans la trappe). Il susurre : « les économistes savent bien que l’absence de tout contrôle dans le libre jeu de la compétition et de la concurrence est l’une des racines de la crise que l’on connaît aujourd’hui… ». Nous ne voulons pas lasser avec un exposé déjà trop long, mais la chute du livre est si stupéfiante, qu’il est impossible de nous en priver. « Sa Majesté » révèle quand même qu’elle ne sait pas tout et qu’il y a au-dessus d’elle un Président de la République (p. 246) et ajoute : « Il y a une forme de gratuité dans cette réforme de l’université et de la recherche. Une gratuité absolue. Ce n’est pas une réforme que nous menons avec des objectifs ou des arrière-pensées politiques […] cette gratuité est une reconnaissance de ce qu’on doit à la pensée en France […].Je pense que les grandes réformes, les réformes structurelles, les retraites, l’éducation, l’autonomie des universités sont des réformes que l’on devrait réaliser dans le cadre d’une union nationale droite/gauche. Car elles ne sont ni de droite ni de gauche ». Où et quand rencontre-t-on en France ce discours ? Dans les pires moments de l’effondrement national. À quoi répond Axel Kahn : « je souhaite donc que le Président de la République actuel ne soit pas réélu en 2012. Si la gauche arrive ainsi au pouvoir, je serai cependant un militant ardent pour conserver ce qu’il y a d’excellent dans votre action ; en particulier la Loi LRU et la réorganisation de nos Universités ». Le naufrage est ainsi, hélas, achevé.  

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