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La saga des SHS 2 : « Le latin est mort. Vive le latin ! » : Lettre ouverte aux latinistes

Oserais-je dire que ce titre jubilatoire de l’essai de Wilfried Stroh, publié aux Belles Lettres en 2008, fut à l’origine de cet article d’humeur ou d’opinion, c’est selon, si longtemps remis, si longtemps reporté, et que Dina Bacalexi accueille généreusement dans les colonnes de ce journal ? W. Stroh nous entraine dans une passionnante et minutieuse histoire du latin à travers les siècles et les pays … On peut ne pas être d’accord avec certaines idées, certains partis pris, mais on est séduit par l’enthousiasme de l’auteur pour la langue latine, que tant de gens déclarent moribonde, sinon déjà morte et enterrée. Il est vrai que cela se disait déjà à la Renaissance et que le latin a finalement résisté, survécu… pendant plus de quatre siècles. Quel exploit ! Comme si le latin dût en permanence justifier aux yeux de l’opinion le sursis de vie qu’on a bien voulu lui accorder… Certains diront que sa mort est maintenant programmée et bien plus proche qu’on ne l’imagine. Voici quelques années, une société savante annonçait le glas des lettres classiques. C’était prématuré.  Alors, au lieu de poursuivre une sempiternelle plainte auprès des politiques, j’ai préféré vous écrire, à vous, amis, collègues et étudiants  latinistes (et hellénistes aussi) pour vous dire que nous devons cesser de remplir de nos pleurs les urnes funéraires du latin. Je suis agrégée, docteur et enseignant chercheur habilité à diriger des recherches... en latin, et je ne suis pas iconoclaste, j’aimerais, comme vous, sauver le latin, mais quel latin, et pour quoi faire ? Combien de fois n’avons-nous pas entendu poser la question fatidique: « À quoi cela sert d’apprendre le latin aujourd’hui ? », en nous sentant obligés en quelque sorte de justifier le latin par les services qu’il rend : faciliter l’apprentissage de la langue française, développer le vocabulaire, connaître les sources (romaines) de notre civilisation… Je préfèrerais, puisque le latin n’est plus une langue parlée, une réponse évidente : « Le latin sert à lire et à comprendre des textes écrits en latin. » Tous les textes, non seulement les textes littéraires. Et c’est là que nous, latinistes, avons une responsabilité. Notre domaine d’enseignement reste encore trop souvent limité à la « littérature » classique antique, c’est à dire aux « grands » auteurs, lus et expliqués au cours, parfois avec l’aide de notes historiques, lexicales, qui ne sont pas sans rappeler des pratiques déjà anciennes.  Mais des monceaux de textes écrits en latin ne sont ni lus, ni commentés, ni traduits… Érasme est connu en France, mais je ne suis pas certaine que ses écrits le soient beaucoup. Or, c’était un excellent pédagogue…  Si la poésie néo-latine du XVIe siècle bénéficie actuellement d’un accueil favorable (sans doute grâce aux belles traductions récentes), la littérature en latin des siècles suivants est généralement ignorée, on ne la voit guère au programme des concours des futurs enseignants. Plus méprisé encore est le latin dit « technique », qu’il s’agisse de médecine ou de sciences. Ce sont ces textes-là qui réclament d’urgence notre intervention. Car c’est en latin que les savoirs se sont diffusés dans toute l’Europe comme dans le Nouveau Monde, c’est l’usage d’une langue commune latine qui a permis aux savants, botanistes, astronomes, explorateurs du monde, architectes et cartographes, mathématiciens et médecins, de dialoguer et de correspondre. La liste est longue de disciplines dont la transmission fut aisée aussi longtemps que le latin a fait partie des disciplines fondamentales dans l’enseignement et que l’on a toléré une certaine souplesse dans l’emploi de cette langue conçue comme moyen de communication. Car tous ces textes, que je nommerais « scientifiques » pour simplifier, sont écrits dans un latin au moins linguistiquement correct, et certains montrent des qualités de style et une recherche du beau que nous ne trouvons pas nécessairement chez tel ou tel auteur de second rang, imitateur des grands. C’est donc tout ce savoir qui risque de disparaître avec la mort de l’enseignement du latin. Et c’est là le paradoxe. Car avec les immenses moyens technologiques dont nous disposons aujourd’hui (bases de données, numérisations, sites internet), nous pensons pouvoir maîtriser aujourd’hui toute la connaissance du passé. Le cadre (en latin) est souvent là, mais il est vide ; ni les titres, ni les alignements de mots clés ne peuvent se substituer à la lecture du texte et ne suffisent à structurer la pensée. Nous voici presque de retour au point de départ : il faut donc lire le texte et avoir les outils nécessaires pour le traduire.  Or, les étudiants confondent souvent la traduction avec un exercice scolaire de « version », destiné à montrer à l’examinateur qu’on a vu et compris telle ou telle structure dans le texte latin… sans réel intérêt pour le texte même, coupé de tout contexte immédiat et historique. J’ai souvent mis les étudiants mal à l’aise en leur proposant des traductions faites à des époques différentes pour un même texte, et en essayant de réfléchir avec eux sur ce qu’est « traduire ». Même pour un texte scientifique, il n’existe pas de traduction modèle, formatée… c’est ce qui en fait l’intérêt. Nouveau paradoxe : à l’heure où la mort du latin est programmée dans l’enseignement en France, des initiatives foisonnent sur la toile qui répondent à une demande ou la créent : méthodes d’apprentissage, exercices progressifs, traductions diverse, sites tout en latin… C’est encourageant. À l’attention des collègues bibliographes : il manque une bibliographie en ce domaine ! Valete et legite

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La saga des SHS 2 : « Le latin est mort. Vive le latin ! » : Lettre ouverte aux latinistes

Par Jacqueline Vons, le 25 December 2011

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