Commission nationale Enseignement Supérieur et Recherche du PCF

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Emploi scientifique : mettre un terme à la précarité et à la précarisation

L’une des conséquences de la crise actuelle du capitalisme est l’avènement de nouveaux modes d’organisation du travail, qui instaurent la flexibilité accrue et donc l’augmentation du travail précaire sous toutes ces formes. Cela est vrai pour tous les secteurs d’activités, pour tous les métiers, dans le public comme dans le privé. Les mesures d’austérité se succèdent, en France, mais aussi dans nombre de pays de l’UE, et s’aggraveront si le pacte « euro plus » et le renforcement de la « discipline budgétaire » (sic) décidé au sommet européen le 9 décembre deviennent le mode de fonctionnement d’une Europe-gendrame sanctionnant les contrevenants à la loi d’airain du capital. Le grand supermarché de l’emploi précaire, voire même du passage de la simple précarité à la précarisation, permettra de faire ses courses. Si l’on porte notre regard au-delà des frontières de la France, on constate que la situation, sous prétexte de compétitivité, c’est-à-dire de « réduction du chômage » (antiphrase signifiant en fait la création d’une armée de chômeurs/travailleurs partiels, dociles et flexibles), n’est pas très différente d’un pays à l’autre. Le « modèle », l’Allemagne, voit se multiplier les « Minijobs » et les 1-Euro-Jobs résultant de l’application de la loi Hartz-IV ; en Espagne, les universités appliquent déjà depuis un moment le « dégraissage avant titularisation », mais n’hésitent pas à accorder par la suite des prolongations de quelques mois des contrats précaires sans espoir de stabilisation, en brandissant continuellement la carotte de nouvelles prolongations ou en proposant des manipulations visant à déguiser les emplois scientifiques en emplois administratifs (nouvelle forme de « mutualisation », dont nos organismes et universités françaises semblent vouloir s’inspirer) ; en Grèce, la nouvelle loi « universicide » mise en place par Papandreou et dont le nouveau gouvernement « de salut national » (sic) veut accélérer l’application, instaure un corps d’universitaires précaires recrutés pour 5 ans, nouveaux forçats du travail scientifique aux attributions aussi floues que possibles ; pour ne pas parler de la « mise en disponibilité » des fonctionnaires supposés surnuméraires, dont seulement 1 sur 6 aura la possibilité de retravailler un jour, dans des conditions d’instabilité grandissante. L’enseignement supérieur et la recherche n’échappent point à la règle de la déréglementation, ils sont même au cœur des réflexions sur la « modernité » qui amènerait de l’argent et créerait des postes via le très anglo-saxon « fundraising », palliatif commode pour sortir nos domaines du service public et faire dépendre la science de toute sorte d’intérêts privés, voire de la générosité quasi humanitaire. En France, même si le problème n’est pas nouveau, il prend de nouvelles dimensions et nous oblige à réfléchir sérieusement sur la fin de cette dérive indigne d’une recherche et d’une université publiques de qualité. L’enquête menée par le collectif PECRES en 2009-2010, qui a donné lieu à un livre (Recherche précarisée, recherche atomisée : production et transmission des savoir à l’heure de la précarisation, Paris : 2011) et dont les données sont consultables en ligne (http://www.precarite-esr.org/ et le blog http://pecres.hautetfort.com/ créé dans sa continuité), évalue à 50 000 les précaires de l’enseignement supérieur et de la recherche (ESR) et coupe désormais court aux idées préconçues considérant la précarité comme « moderne », synonyme de jeunesse, de dynamisme et de mobilité. L’enquête a rendues publiques quelques vérités incontestables concernant l’âge, le sexe, les qualifications, les métiers, l’évolution des carrières des précaires etc. La précarité est presque la règle avant 30 ans ; elle ne se limite même pas aux années de doctorat ou de post-doc, mais s’étale sur des durées variables de la carrière ; elle frappe tous les métiers et les disciplines, mais a ses préférées (le maillon faible, les SHS), fait des distinction de genre puisqu’elle préfère les femmes (comme dans tous les domaines professionnels : comme par hasard, les techniciens titulaires, par exemple, sont majoritairement des hommes, tandis que les non-titulaires pour le même travail sont majoritairement des femmes) et elle est bien sûr hautement nuisible pour la science. La généralisation de la recherche sur projet répondant à des appels d’offre conduit automatiquement à une augmentation de la précarité. Tant la LRU (avec la possibilité désormais pour les universités de gérer leurs salariés) que les programmes ANR ou ERC (European Research Council) et bien sûr tout le processus du Grand Emprunt sont des facteurs aggravants, d’autant plus qu’ils contribuent à la supercherie de la « création d’emplois » qui se substituent aux postes statuaires dont les laboratoires et les équipes ont besoin. La diversité des situations des précaires rend le paysage encore plus confus. Même si nous côtoyons les précaires presque tous les jours, il est souvent difficile de connaître le régime sous lequel ils ont été embauchés, les conditions de leur rémunération, voire même la durée de leur contrat. C’est cette confusion qui empêche souvent la mobilisation des titulaires, dont dépend en grande partie la résolution du problème et la fin définitive de cette ignominie qui dévalorise la connaissance et rabaisse ceux qui sont chargés de la produire et de la diffuser. Le nombre des précaires de l’enquête PECRES nous donne une première idée des besoins immédiats de l’ESR en postes. Il est d’ailleurs assez significatif qu’au moment où une nouvelle loi est en cours d’examen (elle passera peut-être à l’Assemblée et au Sénat au cours de la session actuelle), non seulement le nombre des précaires qui pourront se présenter aux concours réservés reste sous-évalué par l’administration, mais les établissements procèdent à un scandaleux « dégraissage » (non renouvellement des contrats), qui empêche de remplir les critères pour participer à ces concours et obtenir enfin un emploi de titulaire. La résorption de la précarité constitue le premier pas d’une politique de gauche pour l’ESR. Sa disparition est bien entendu le but ultime recherché. Nous pouvons d’ores et déjà avancer des propositions visant à tarir le « vivier » dès sa source, en insistant par exemple sur les points suivants concernant les doctorants et les docteurs : pas de thèse sans financement ; pas de post-doc antichambre des CDD ou voie de garage alimentaire, surtout pas dans les disciplines comme les SHS où les financements sont rares et accordés au compte-gouttes et à la tête du client ; pas de « particularités disciplinaires » quant à la revendication de l’embauche des docteurs au plus près de la thèse (pour ceux qui rejoindront l’ESR ; cf. notre exigence de la reconnaissance du doctorat dans les conventions collectives pour ceux qui seront embauchés dans les entreprises). On peut affiner et enrichir ces propositions, en tenant compte de la situation et des revendications des intéressés. Mais la proposition la plus radicale qui caractériserait une vraie politique de gauche, une politique de rupture avec la spirale de la soi-disant économie de la connaissance (ce grand marché de la connaissance) serait celle qui vise l’intégration des précaires dans la fonction publique, là où ils travaillent déjà sans statut et parfois sans salaire. Dans un objectif de changement des politiques européennes, une telle mesure immédiate serait un grand coup dans la fourmilière néolibérale qui veut des scientifiques – et des salariés – esclaves. C’est un objectif de lutte pour le développement du service public – et, par conséquent, de l’emploi public stable et pérenne – de l’ESR tant au niveau français qu’européen, puisque les politiques européennes encouragent (pour ne pas dire engendrent) la précarité et la précarisation, via les mécanismes de sélection et de financement des projets scientifiques. Cela bien sûr, sans oublier notre objectif de création de nouveaux postes de titulaires dont le besoin chiffré est à évaluer par les organisations syndicales. Le besoin de nouveaux postes ne concerne pas seulement les enseignants-chercheurs. Tous les métiers et toutes les qualifications sont concernés, surtout à l’heure de la RGPP dont il faut exiger l’arrêt net (cf. XYZ n°5). Créer de nouveaux postes sans tricher, sans prétexter, comme le fait la droite, que travailler avec moins de personnels contribuerait à une amélioration qualitative du travail ( ?) et à une augmentation des rémunérations de ceux qui restent (sic) ; sans procéder à la social-démocrate au déshabillage des uns pour fournir les autres ; sans feindre de confondre les précaires, qui sont déjà là, et les nouveaux besoins. Sans tomber dans le piège, même lexical, de distinction entre le « cœur » de métier et sa « périphérie ». Pour ce faire, il faut une réelle politique de l’emploi scientifique qui tienne compte des spécificités des organismes et des universités, qui n’asservisse pas les uns aux autres, qui permette une vision nationale sur le long terme, compatible avec la recherche qui ne se mène pas à coups d’appels d’offres donnant lieu à des contrats de trois, cinq ou même dix ans. Une politique où le CNRS ne sera pas une sorte d’agence de moyens, un pourvoyeur de « ressources humaines », où il créera les emplois nécessaires pour couvrir ses besoins, puisqu’il sera rétabli dans ses prérogatives d’organisme chargé d’élaborer une politique scientifique. Une politique qui mette fin à la fausse excellence, c’est-à-dire aux diverses méthodes de contournement des concours nationaux pour fournir uniquement les « heureux élus » du Grand Emprunt. Selon l’enquête PECRES, les précaires pensent que, sans prise de conscience de la part des titulaires de la nécessité pour la recherche de se mener au long terme et de garantir ainsi la dignité des personnels, on ne fera que du saupoudrage et on perpétuera, peut-être malgré nous, un système qui arrange souvent, puisque les « bons élèves » qui réussissent leurs ANR ou ERC ou autres projets à court terme se voient récompenser par des moyens mis à leur disposition grâce aux économies qu’ils ont contribué à faire. C’est pourquoi nous insistons sur les principes simples mais pour nous non négociables d’une politique de gauche pour l’emploi dans l’ESR. Aucune demi-mesure ne pourra être tolérée. C’est cette fermeté qui rendra visible la différence entre la droite et la gauche et qui rétablira la crédibilité de cette dernière aux yeux de la communauté scientifique.

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